Nous étions enfin le vendredi 19. Ce jour tant attendu par Lucrèce et la moitié des mondains de Paris. En cette glaciale soirée de février, le tout -Paris n'attendait qu'une chose : que les portes de l'hôtel de Gailly s'ouvrent. Pendant plus de trois semaines, on n'avait parlé que de cela. Les invitations arrivaient par régiments chez les plus célèbres particuliers. Mais pour Lys, il s'agissait plus de fêter son entrée dans la Cour, dont de nombreux représentants seraient sans aucun doute présents. Certains roturiers, triés sur le volet, seraient également présents. Lys avait également des relations dans le "petit peuple", qu'elle ne voulait en aucun cas discriminer. Et ce soir, tous devraient se mélanger.
Assise devant le miroir de sa coiffeuse, la comtesse de Gailly choisissait ses bijoux. Autour d'elle, trois femmes de chambre s'affairaient, préparant robe, bas et chaussures. Une quatrième coiffait Lys, piquant dans ses cheveux maints perles et rubans. Elle voulait être la plus belle, ce soir; briller par son éclat, mais également par son intelligence. Car Lucrèce de Gailly était loin d'être stupide. Elevée dans un couvent, elle avait étudié et beaucoup lu, se forgeant elle-même une culture dont elle n'était pas peu fière.
Se levant avec grâce, elle chaussa des souliers roses aux boucles d’argent et passa corset, jupon à cerceaux puis enfin la robe. Lorsque les domestiques eurent fini de fixer les engageantes et de lisser les plis de tissu, Lys s’avança vers son miroir en pied et se dévisagea, de la tête au pied, quêtant tout défaut. Sa robe rose, au décolleté rond, était étagée d’organza et de satin. Le manteau de robe révélait un jupon aux motifs brodés d’or, sur fond blanc. Les engageantes de dentelle tombaient élégamment, couvrant à peine le poignet de la comtesse. A ses oreilles, Lucrèce avait accroché de simples perles, présent d’un amant éconduit. Quelque peu de rouge sur les lèvres et d’ombres sur les paupières et le tour était joué. Lys n’affectionnait pas la mode des mouches, trouvant cela particulièrement laid.
La demoiselle fit un clin d'oeil à ses domestiques qui sourirent avant de se retirer pour aller clore les préparatifs de la soirée. Lys, dont les yeux bleu turquoise ressortaient sur son visage pâle, descendit avec élégance l'escalier de marbre qui conduisait à la plus grande salle de l'hôtel, où se tiendrait la réception. Les domestiques allumaient les derniers chanceliers et l'orchestre engagé pour la soirée prenait place. Dans les étages, les nombreux lits avaient été faits et les pièces aérées, pour faire entrer les senteurs florales provenant du jardin. Tout était parfait. Tout serait parfait.
La pendule du salon sonna dix-huit heures. Les premiers invités n'allaient pas tarder à arriver. Justement, un coup résonna contre la porte d'entrée. Lys se plaça dans l'entrée et fit un geste au portier. Son visage s'illuminant d'un sourire et d'une joie non dissimulée, Lys s'apprêtait à entrer dans la société.